Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/44

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Les coursiers hérissant leur crinière à longs flots,
Et d’une voix humaine excitant les héros ;
De là, portant ses pas dans les paisibles villes,
Les lois, les orateurs, les récoltes fertiles ;
Mais bientôt de soldats les remparts entourés,
Les victimes tombant dans les parvis sacrés,
Et les assauts mortels aux épouses plaintives,
Et les mères en deuil, et les filles captives ;
Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux
Bêlants ou mugissants, les rustiques pipeaux,
Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes,
Et la flûte et la lyre, et les noces dansantes.
Puis, déchaînant les vents à soulever les mers,
Il perdait les nochers sur les gouffres amers ;
De là, dans le sein frais d’une roche azurée,
En foule il appelait les filles de Nérée,
Qui, bientôt à ses cris s’élevant sur les eaux,
Aux rivages troyens parcouraient les vaisseaux.
Puis il ouvrait du Styx la rive criminelle,
Et puis les demi-dieux et les champs d’asphodèle,
Et la foule des morts : vieillards seuls et souffrants,
Jeunes gens emportés aux yeux de leurs parents,
Enfants dont au berceau la vie est terminée,
Vierges dont le trépas suspendit l’hyménée.

Mais, ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux !
Quels doux frémissements vous agitèrent tous,
Quand bientôt à Lemnos, sur l’enclume divine,
Il forgeait cette trame irrésistible et fine
Autant que d’Arachné les pièges inconnus,
Et dans ce fer mobile emprisonnait Vénus,
Et quand il revêtait d’une pierre soudaine
La fière Niobé, cette mère thébaine ;
Et quand il répétait en accents de douleur
De la triste Aédon l’imprudence et les pleurs,
Qui d’un fils méconnu marâtre involontaire,
Vola, doux rossignol, sous le bois solitaire !
Ensuite, avec le vin, il versait aux héros
Le puissant népenthès, oubli de tous les maux ;
Il cueillait le moly, fleur qui rend l’homme sage ;