Page:Chair molle.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

coup de chapeau et un sourire. Flattée de ces politesses, elle examinait ses compagnons avec sympathie ; par les regards, rapidement, une intimité s’établissait :

— Où va Mademoiselle ? interrogea le cocher.

Elle rougit, par embarras : indiquer l’adresse, sans doute bien connue, de la maison Donard, c’était, devant tous, dénoncer son métier de fille. Muette, elle espéra d’inopinées recommandations qui, données par les autres voyageurs, étoufferaient peut-être sa réponse. Personne ne parla. Elle dut se décider.

— 7, rue Pépin.

Un rire montra les dents gâtées du cocher. Il reclaqua la portière, proclamant à un collègue :

— Hé ! Flachaut, nous nous mettons bien : nous conduisons une nouvelle pour le 7.

Avec un bruit étourdisseur de vitres dansant en leurs châssis, l’omnibus cahota par la ville. Le monsieur avait mis un binocle. Partout, il scrutait Lucie, dans une étude insolente de sa toilette et de ses gestes. Sous ce regard la fille détourna la tête. Par le vasistas elle fixait les yeux sur une place caillouteuse, vers un kiosque à musique militaire, renfermant des chaises en piles. Elle songea : Ainsi on la méprisait, tout de suite, sitôt sa condition décelée et, pourtant, elle n’était pas encore au bordel ! Que serait-ce quand elle en porterait la livrée, ces hardes voyantes