Page:Chair molle.djvu/16

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parlaient très haut et agitaient des cigares dans l’air.

Encore des clients ceux-là ! pensa-t-elle.

L’omnibus avait enfilé des rues désertes, était arrivé à un terrain vague où seulement, par intervalles, des bornes blanches apparaissaient, fichées en terre. Plus loin le rempart tout couvert d’herbes rousses, d’arbres dépouillés, qui résillaient de leurs branches nues un ciel grisâtre.

Lucie eut une seconde d’inquiétude : le cocher se trompait-il ? La mènerait-il à la campagne, par hasard ? Elle allait frapper à la vitre pour l’interroger, mais un brusque cahot fit sursauter la fille, et la voiture demeura immobile.

Par la portière ouverte, la face rieuse du cocher renseigna :

— Voilà la rue Pépin.

Lucie sentit son estomac se serrer, une grande lourdeur peser en sa tête :

— Comment ? Déjà ?

Cependant elle suivit le geste et regarda.

La rue descendait tortueuse, très étroite. Les maisons avaient tous leurs volets fermés en des façades sans ornements ; les réverbères en saillie au-dessus des portes paraissaient s’allonger jusqu’aux murs leur faisant face, hautes murailles noircies où pendaient tristement des lianes sans verdure. Et, du ciel, Lucie ne vit rien qu’une