Page:Chair molle.djvu/187

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— Des prunes, ma fille ! Ah non, alors ! Crois-tu que je vais m’en aller de chez moi ? Tu iras toute seule. As-tu de l’argent au moins ?

— Mais tu sais bien que, depuis deux jours, j’ai tout acheté à l’œil.

— Tiens, voilà vingt francs. Il ne reviendra donc pas, cet animal-là ?

Lucie Thirache prit le louis, touchée de ce cadeau. Elle s’était vêtue à la hâte, presque réjouie : cet événement qui venait faire diversion lui semblait fort burlesque. Un homme, elle en trouverait trente-six pour un ; c’est pas ça qui la gênerait. Ce qu’elle allait faire la noce quelques jours, libre enfin, seule, à Lille ! Elle entassait dans une valise ses peignes, ses brosses, son linge. Elle y voulut mettre une boîte à veloutine, mais la houppette s’échappa et, sur sa robe, la poudre se répandit, tachant la soie noire de longues traînées grasses.

— Allons, bon ; il ne manquait plus que cela ; c’est toujours comme ça quand on est pressé.

Cet incident l’attrista. Il fit naître en elle comme une appréhension.

— Va voir un peu à la fenêtre s’il ne vient pas, dit-elle.

Georges, qui marchait de long en large sans arrêt, souleva les rideaux, jeta un regard sur la place bruyante :

— Non, je ne le vois pas. Mais, tu sais, il peut