Page:Chair molle.djvu/219

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femme forte, ayant su résister vigoureusement à leurs brutalités :

— Je leur en ai lâché de ces injures ; j’en pouvais plus, quoi ! Et puis, ils n’avaient qu’à s’en aller. Ah bien oui ! Quand ils m’ont vu en rage comme ça, ils ont pris les chaises, ma toilette, mon armoire à glace ; ils m’ont tout fichu par terre, avec des coups de poings, des coups de pieds ! Mes pauvres meubles ! Qu’ils étaient encore si beaux, que j’aurais voulu…

Sa phrase s’acheva en un long gémissement. La fille, penchée sur l’épaule de Zéphyr, pleurait verse, tachant son peignoir rouge, trouvant canaille, sans oser le dire, l’indifférence des auditeurs qui, l’un après l’autre, s’en allaient, calant d’un coup d’épaule leurs paquets d’outils sur l’omoplate, modérant de la main le balancement de la musette pendue au coude. Et tous, en partant, lançaient des consolations :

— Voyons, il faut vous calmer ; avec une mine comme la vôtre vous en acheterez bientôt des autres de meubles.

— Moi je serais de vous, j’aurais un revolver.

Lucie sanglotait. Mais une femme ayant insinué qu’elle avait eu tort de recevoir deux hommes à la fois, elle se fâcha, oubliant aussitôt son chagrin.

— Tiens, si vous croyez qu’on fait ce qu’on veut dans cette saloperie de métier-là.