Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/102

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moins une époque tragique. Sans doute, il était désormais à l’abri du besoin matériel, mais, pour un esprit comme le sien, sa soif artistique n’en pouvait devenir que plus dévorante ; c’est à donner, non à recevoir, qu’il prenait plaisir. Il l’avait déjà dit : « Le monde « devait lui fournir le peu de luxe dont il avait besoin » ; du moment où on lui ôtait le souci du pain quotidien, qu’on y ajoutait même ce « peu de luxe » qu’il lui fallait, il ne connaissait plus qu’un seul besoin, le plus impérieux de tous : donner au monde ce qu’il croyait lui devoir, tout son pouvoir d’artiste, tout ce que son âme créatrice voyait déjà clairement, et que lui, mais lui seul, pouvait évoquer et traduire, pour peu qu’on lui laissât les coudées franches. Déjà à l’occasion des représentations de Zurich, dans les conditions les plus humbles et les plus insuffisantes, Wagner avait conçu une haute opinion de sa destinée, qui l’appelait « à rendre possible l’impossible » ; mais maintenant, tous les moyens de la réaliser devaient être mis à sa disposition. Le but était aussi simple que grandiose : d’une part, une réforme complète du théâtre d’opéra moderne, tant au point de vue de la mise en scène qu’à celui du but à poursuivre ; de l’autre, la révélation d’une forme d’art nouvelle, inconnue jusque là, le drame wagnérien. Grâce à l’instinct singulièrement pratique que ses ennemis eux-mêmes étaient forcés de lui reconnaître, grâce à son expérience scénique de près de cinquante ans, Wagner pouvait clairement se rendre compte des voies nécessaires pour atteindre son but : des exécutions impeccables, réalisées par les moyens alors disponibles, devaient d’abord montrer ce que peut obtenir un sérieux sentiment artistique, joint à la maîtrise professionnelle dans l’application pratique, car il s’agissait d’éduquer le public, de lui faire comme toucher du doigt la