Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/124

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Wagner : sa foi inébranlable. Sans elle, toute la carrière de Wagner serait incompréhensible : ce fut la foi qui conduisit le jeune homme inconnu, sans ressources, de Riga à Paris ; la foi encore qui lui fit entreprendre et achever, dans son exil solitaire, une œuvre gigantesque, dont il ne croyait pas qu’aucun de nos théâtres, en dehors de celui qu’il rêvait, ne la représenterait jamais ; la foi enfin qui l’amena à poser la première pierre du Festspielhaus de Bayreuth, sans qu’il y eût, pour lui, aucune probabilité d’obtenir les moyens suffisants à son achèvement… Mais une foi pareille n’est pas seulement une foi « en soi-même ». En effet, l’idée fondamentale de sa doctrine d’une régénération possible est celle-ci : que l’humanité est destinée à se développer en harmonie avec la nature ; et l’on peut dire que, dans sa propre foi, obstinée, sûre de la victoire, est impliqué ainsi le sentiment que lui-même, dans sa vie, dans ses luttes, dans les fruits de son génie, agissait en harmonie avec un ordre supérieur des choses, qu’il obéissait, en d’autres termes, à une Providence. De là ce singulier mélange d’une simplicité d’enfant avec sa souveraine assertion de lui-même. Wagner, dans la vie de tous les jours, était si inimitablement simple et confiant, qu’on était souvent tenté de voir en lui ce qu’on appelle un bonhomme ; mais, subitement sur sa face passait un éclair, ses traits semblaient comme transfigurés, son œil brillait : et personne ne pouvait alors se soustraire à l’impression d’une inspiration véritable ; cet homme apparaissait à tous comme se trouvant momentanément en contact avec un monde transcendant, inaccessible, mystérieux. La foi d’un tel homme, qu’il soit ou non croyant au sens ordinaire du terme, doit être profondément religieuse ; cela ne se peut autrement,