Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/313

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la vraie, de la profonde poésie, c’est un drame dans toute l’acception du terme. Et cependant, le tout n’est qu’une esquisse, car le propre du drame nouveau, c’est de pouvoir représenter entièrement, complètement, en les épuisant, les mouvements de l’âme en son tréfonds, tout le contenu artistique des « âmes » ; et ce n’est point encore le cas dans le Vaisseau Fantôme. L’homme intérieur, et la musique avec lui, ici, sont en effet trop abrégés, trop sommairement traités, les formes que crée le poète sont intrinsèquement vraies, mais non assez développées, assez fouillées. C’est que le poète ne s’était qu’à moitié dégagé des langes de l’opéra et n’osait point encore se mouvoir librement sur son propre terrain. La faculté pour le drame de s’adapter à « la richesse de l’expression musicale », son « élargissement » nécessaire, s’il les pressentait, il ne les voyait point clairement encore.

Pour la compréhension critique des poèmes de Tannhäuser et de Lohengrin dans leur signification comme degrés de développement conduisant au drame nouveau, il faut donc, avant tout, bien saisir les beautés et les lacunes que je viens de signaler dans le Vaisseau Fantôme. Cela suffit et rend inutile la dissection analytique de ces œuvres merveilleuses. Nous y voyons le poète s’éloigner toujours davantage de la formule de l’opéra, en se rapprochant toujours davantage aussi, et par là même, de la forme artistique parfaite du drame qui a gardé son nom, du drame wagnérien proprement dit. Cette forme a pour principe de « concentrer la force de la représentation en quelques moments du développement, tous importants et décisifs ; mais, dans ces quelques scènes, dans chacune desquelles un sentiment décisif doit être mis en pleine valeur, le poète, pour l’exécution, a le droit de s’arrêter