Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

DE CHAMFORT. 289

L'admirable rôle de Narcisse , dans Britannicus , contient une des plus belles leçons qu'on ait ja- mais données aux rois ; et cependant cette consi- dération n'empêche pas que le parterre ne voie ce personnage avec peine ; et l'on sait que le public donna , aux premières représentations de ce chef- d'œuvre , des marques d'un mécontentement peu équivoque.

Plus on sonde ce principe , plus on le trouve fécond. Il explique, d'une manière satisfaisante , l'extrême déplaisir qu'on éprouve à voir des ca- ractères nobles s'avilir et se dégrader. Je sais pourquoi mon âme est affectée désagréablement, lorsque le vainqueur des Curiaces enfonce le poi- gnard dans le sein de sa sœur , dont le seul crime est de pleurer la mort de son amant. En lisant l'histoire même , ne sommes-nous pas sensible ment affligés , lorsqu'un des principaux person- nages s'avilit par quelque action qui flétrit une âme à laquelle la nôtre s'intéressait ? Cette néces- sité de maintenir l'énergie du caractère est si reconnue , que les poètes tragiques ont l'attention de ne jamais laisser entendre aux héros de leurs poèmes rien d'humiliant pour eux, même dans la bouche d'un ennemi. Voyez si les menaces d'Assur , dans Sémimtnis , ont rien d'avilissant pour Arsace ! Ce secret de l'art , qui consiste à faire tomber l'odieux du crime sur un confident , est une des découvertes les plus utiles à la tra- gédie. Racine l'a mis le premier en usage dans

'9

�� �