Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/419

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Au sortir de chez eux, il cherchait la cause de cette aigreur, de la part de gens qui avaient de l’amitié pour lui ; il la trouva enfin. C’est que, par là, il leur faisait entrevoir qu’il n’était pas dans leur dépendance. Tout homme qui a peu de besoins, semble menacer les riches d’être toujours prêt à leur échapper. Les tyrans voient par là qu’ils perdent un esclave. On peut appliquer cette réflexion à toutes les passions en général. L’homme qui a vaincu le penchant à l’amour, montre une indifférence toujours odieuse aux femmes : elles cessent aussitôt de s’intéresser à lui. C’est peut-être pour cela que personne ne s’intéresse à la fortune d’un philosophe : il n’a pas les passions qui émeuvent la société. On voit qu’on ne peut presque rien faire pour son bonheur, et on le laisse là.

— Il est dangereux, pour un philosophe attaché à un grand (si jamais les grands ont eu auprès d’eux un philosophe), de montrer tout son désintéressement ; on le prendrait au mot. Il se trouve dans la nécessité de cacher ses vrais sentimens : et c’est, pour ainsi dire, un hypocrite d’ambition.


CHAPITRE IV.

Du Goût pour la retraite, et de la Dignité du caractère.


Un philosophe regarde ce qu’on appelle un état