Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t1.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’ai à me plaindre des choses très-certainement, et peut-être des hommes ; mais je me tais sur ceux-ci : je ne me plains que des choses ; et, si j’évite les hommes, c’est pour ne pas vivre avec ceux qui me font porter le poids des choses.

— La fortune, pour arriver à moi, passera par les conditions que lui impose mon caractère.

— Lorsque mon cœur a besoin d’attendrissement, je me rappelle la perte des amis que je n’ai plus, des femmes que la mort m’a ravies ; j’habite leur cercueil, j’envoie mon âme errer autour des leurs. Hélas ! je possède trois tombeaux.

— Quand j’ai fait quelque bien et qu’on vient à le savoir, je me crois puni, au lieu de me croire récompensé.

— En renonçant au monde et à la fortune, j’ai trouvé le bonheur, le calme, la santé, même la richesse ; et, en dépit du proverbe, je m’aperçois que qui quitte la partie la gagne.

— La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent. Le mien, quel qu’il soit, ne me paraît qu’un délateur, né pour troubler mon repos. J’éprouve, en le détruisant, la joie de triompher d’un ennemi. Le sentiment a triomphé chez moi de l’amour-propre même, et la vanité littéraire a péri dans la destruction de l’intérêt que je prenais aux hommes.

— L’amitié délicate et vraie ne souffre l’alliage d’aucun autre sentiment. Je regarde comme un grand bonheur que l’amitié fût déjà parfaite entre