Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t2.djvu/281

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’2rO OEUVRES

d’une clemi-henre. Deux canons, sur leurs affûts envoyés par le roi de Siam à Louis xiv, furent traînés et descendus dans la cour, avec autant de précautions et de soins qu’en eussent pris les of- ciers même du Garde-Meuble, s’ils eussent été cliaroés de cette translation. Ils les conduisirent ■vers la place de Grève, à travers deux haies de citoyens confondus de la nouveauté d’un spectacle à la fois effrayant et grotesque. Qu’on se répré- sente ce groupe d’hommes, de femmes, d’enfaus, formé tout-à-coup en bataillon bizarre, offrant l’assemblage des différens costumes guerriers de tout siècle, de tout pays, anciens et modernes, et portant toutes les espèces d’armes d’Europe, d’Asie, d’Amérique, même les flèches empoison- nées des sauvages !

La lance de Boucicaut, le sabre de Dugues- clin brillaient dans la main d’un bourgeois, d’un ouvrier ; un porte -faix brandissait i’épée de François i., de ce monarque nommé par sa cour le roi des gentils-hommes, par opposition à son prédécesseur, le bon Louis xu, qu’elle appelait le roi des roturiers, et que la postérité a surnommé simplement le Père du peuple. Toutes ces armes, étiquetées-du nom de leurs anciens maîtres, flattaient merveilleusement la vanité de leurs nouveaux possesseurs. Une autre vanité, celle des hommes qui ne connaissent que les noms, la naissance, le rang, s’affligeait de ces contrastes, comme d’un ridicule, d’un scandale, d’une pro-