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et anecdotes.
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moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je ne ressemble pas mal à ce Gentilhomme, qui ayant une affaire criminelle laissait croître sa barbe, ne voulant pas, disait-il, la faire faire, avant de savoir si sa tête lui appartiendrait. Avant d’être immortel, je veux savoir si je vivrai.

M. de La Reynière, obligé de choisir entre la place d’Administrateur des Postes & celle de Fermier-Général, après avoir possédé ces deux places, dans lesquelles il avait été maintenu par le crédit des grands Seigneurs qui soupaient chez lui, se plaignit à eux de l’alternative qu’on lui proposait & qui diminuait de beaucoup son revenu. Un d’eux lui dit naïvement : Eh ! mon Dieu, cela ne fait pas une grande différence dans votre fortune. C’est un million à mettre à fond perdu ; & nous n’en viendrons pas moins souper chez vous.

M…, Provençal, qui a des idées assez plaisantes, me disait à propos de Rois & même de Ministres, que la machine étant bien montée, le choix des uns & des autres était indifférent. Ce sont, disait-il, des chiens dans un tourne-broche : il suffit qu’ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu’il ait de l’intelligence, ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne & le soupé sera toujours à-peu-près bon.