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sur Chamfort.

à la cour de la duchesse du Maine : elle y avait connu les principaux personnages qui figuraient alors sur la scène du monde, & sa mémoire fidelle était une sorte de répertoire de l’histoire anecdotique de ce tems. Chamfort lui plut autant qu’elle lui avait plu ; leurs esprits sympathisèrent, & la liaison fut promptement formée. Il céda d’abord à cette nouvelle amie son appartement d’Auteuil, où il l’allait voir tous les jours ; mais bientôt ils conçurent tous deux le projet de s’isoler entièrement du monde, & de vivre uniquement l’un pour l’autre. Ils se retirèrent en effet à Vaudouleur près d’Étampes ; ils y passèrent six mois, & les lettres de Chamfort attestaient à ses amis qu’ils y étaient aussi heureux que le premier jour, lorsqu’une maladie cruelle & subite lui enleva cette femme intéressante. Il revint à Paris, plongé dans la plus profonde douleur.

Ce fut quelque tems après que M. de Choiseul-Gouffier l’emmena en Hollande pour le distraire de sa mélancolie, par la diversité des objets & par l’intérêt que ce pays inspire à tout voyageur philosophe. Le comte de Narbonne était du voyage. Ils se promenaient un jour sur un canal, dans un yacht Hollandais ; quelqu’un racontait à haute voix je ne sais quelle aventure peu honorable dont un gentilhomme Français était le héros. Chamfort, qui avait paru à peine écouter cette histoire, se lève, prend d’une main celle de Choiseul, & de l’autre celle de Narbonne, puis les regardant alternativement tous les deux ; & leur secouant fortement les bras : « Connaissez-vous, » dit-il, « rien de plus