jugement que l’impartiale équité doive enfin asseoir sur cet homme extraordinaire, entre les deux sortes d’enthousiasme, dont l’une l’a fait placer au Panthéon Français, et l’autre l’en a fait arracher, on ne peut nier au moins qu’il ne fût un excellent juge des qualités dont la Nature l’avait si heureusement doué lui-même : on ne peut croire ni qu’il s’y trompât, ni qu’il reconnût dans les autres une fausse supériorité. Or, dans sa liaison avec Chamfort, on le vit toujours le regarder comme son supérieur & son maître, même en énergie & en force morale. Cela peut servir à rectifier quelques opinions sur la trempe d’esprit de Chamfort & sur celle de son caractère. Ceux qui le jugent légèrement, & qui n’ont peut-être pas sur Mirabeau des idées plus justement assises, trouveraient dans les lettres de ce dernier des raisons de mieux apprécier l’un & l’autre ; ils y verraient que, pendant plusieurs années, Mirabeau soumit à Chamfort, non-seulement ses ouvrages, mais ses opinions, sa conduite ; & que l’espérance ou la crainte de ce qu’il penserait de lui était devenue pour cette ame fougueuse, mais aimante, une sorte de conscience[1].
- ↑ Ces lettres qui se sont trouvées dans les papiers de Chamfort, paraîtront incessamment ; entr’autres preuves de la haute opinion que Mirabeau avait de Chamfort, & de l’empire que Chamfort exerçait sur lui, on y lira le passage suivant, que malgré son étendue, je n’ai pu me refuser à mettre ici.