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Je m’efforçai, non sans m’exposer à de grands dangers, de me frayer, au travers des roches et des écueils dont ces mers sont remplies, une route vers Bornéo, et puis vers la Nouvelle-Hollande : il fallut y renoncer. Je m’assis enfin sur le promontoire le plus avancé de l’île que j’avais pu atteindre, et, tournant mes regards vers cette partie du monde qui m’était interdite, je me mis à pleurer, comme devant la grille d’un cachot, d’avoir sitôt rencontré les bornes qui m’étaient prescrites. En effet la portion de la terre la plus nécessaire à l’intelligence de l’ensemble m’était fermée, et je voyais dès l’abord le fruit de mes travaux réduit à de simples fragments. Ô mon cher Adelbert, qu’est-ce donc que toute l’activité des hommes ?

Souvent au fort de l’hiver austral, m’élançant du cap Horn, bravant le froid, la mer et les tempêtes, je me suis risqué, avec une audace téméraire, sur des glaces flottantes, et j’ai cherché à m’ouvrir par le glacier polaire un passage vers la Nouvelle-Hollande, même sans m’inquiéter du retour, et dût ce pays affreux se refermer sur moi comme mon tombeau. Mais en vain : mes yeux n’ont point encore vu la Nouvelle-Hollande. Après ces tentatives infructueuses, je revenais toujours au promontoire de Lamboc, où, m’asseyant la face tournée vers le levant ou le midi, je pleurais mon impuissance.

Enfin, je m’arrachai de ce lieu, et, le cœur plein de tristesse, je rentrai dans l’intérieur de l’Asie. J’en parcourus les parties que je n’avais pas encore visitées, et je m’avançai vers