Page:Champsaur - Homo-Deus, Ferenczi, 1924.djvu/13

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plus faible intérêt, hors-d’oeuvre préparant le régal annoncé, le docteur Jean Fortin se leva pour prendre la parole. Figure saisissante dès le premier abord, rasée, hâlée, avec des yeux malicieux ou cruels, selon la pensée du moment, une face intelligente et fine de pape, évocation d’un Innocent III supérieur, autoritaire et hautain, qui aurait semblé, dans cette Académie des Sciences, présider un Concile. Les yeux du savant avaient on ne sait quoi de railleur en se posant sur l’assemblée et ils souriaient en apercevant çà et là, sur les gradins réservés au public, une silhouette de connaissance.

Le docteur Fortin était l’enfant terrible de l’Académie des Sciences. Sa réputation — faite de découvertes extraordinaires, de travaux d’une audace déconcertante, de discussions, de calomnies, de jalousies — était surtout populaire. Les confrères s’inclinaient devant son génie, mais ils avaient peur de l’homme au tempérament ardent, au cœur trop riche, à la verve malicieuse. Fortin avait horreur de tout ce qui était officiel et pratique : il admirait les illuminés qui passent leur vie à poursuivre un idéal élevé, insaisissable. Il ne se cachait point d’aimer les révolutionnaires en art, en sciences et même en politique — et cette attitude lui valait des relations insolites dont ses amis s’épouvantaient.

Original dans ses façons brusques et très bon, dédaigneux des honneurs, des récompenses — il préférait à sa boutonnière une rose à une rosette — et des publicités. Mais, hanté de chimères admirables, le grand public l’aimait, et cette admiration sincère des foules faisait d’un membre de l’Institut, savant distingué — ils le sont tous, banalement — un savant glorieux d’une gloire véritable.

Le docteur Fortin gravit, avec une souplesse remarquable, les marches de l’estrade, et, d’une voix nette :

« Messieurs,

« Le sujet sur lequel j’ai à vous faire aujourd’hui une