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magne 5, en Turquie 10, en Autriche 20, en Russie encore davantage. Et cependant, en France, on ne parle pas toujours le français.

Allez en Auvergne : sur dix hommes du peuple, ville et campagne, vous n’en trouverez pas deux qui, entre eux, parlent le vrai français, qu’ils connaissent cependant, surtout depuis que l’instruction est obligatoire. Si vous écoutez des Auvergnats habitant Paris, même depuis longtemps, vous les entendrez jargonner. Il en est de même en Picardie, en Flandre, en Bretagne, en Gascogne, dans le pays basque, en Provence…

Et cela n’est pas spécial aux hommes du peuple. J’ai habité la Picardie, et j’ai presque toujours entendu les patrons d’usine, les grands agriculteurs, les marchands, les médecins, les curés, picarder avec leurs employés, ouvriers, clients, etc.

Et cette manie de patoiser ne se cantonne pas dans les provinces à patois. Est-ce qu’à Paris et ailleurs des jeunes gens et même des hommes plus âgés n’aiment pas à se servir de l’argot ?

On connaît cette charge linguistique publiée par une revue : l’image représente une fillette qui sanglote et deux villageoises, et au bas on lit cette légende : Kakalakakrialakalachu.

Quel est cet idiome ? Est-ce du chinois ou du malgache ? Sommes-nous chez les Hurons ou au Kamchatka ? Non ; la scène se passe à 20 lieues de Paris, en pleine Beauce ; et pour le lecteur qui n’aurait pas l’avantage de comprendre le beauceron, voici la traduction de la légende : Qu’est-ce qu’elle a qu’elle crie ? — Réponse : Elle a qu’elle est tombée.

Je me garderai bien d’essayer d’expliquer cette manie, cette rage de patoiser et de jargonner. Je me borne à constater l’existence de ce phénomène et j’en tire la conclusion suivante :

Si votre sabir perfectionné devenait, comme vous y comptez, universel et obligatoirement enseigné partout, il s’implanterait très vite dans les provinces où il n’y a pas encore de patois. Les jeunes gens d’abord, puis tous les hommes du peuple, ville et campagne, se jetteraient sur cette nouveauté, si facile à acquérir.