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Bientôt des centaines de journaux à un sou paraîtraient, rédigés d’abord moitié en français, moitié en Espéranto, puis bientôt dans cette dernière langue seule. Ils auraient d’ailleurs l’avantage de pouvoir circuler dans le monde entier puisque leur idiome serait universel (cet idiome, le meilleur ami des langues nationales !).

Bref, avant cent ans, « grâce aux traductions de nos chefs-d’œuvre et des principaux ouvrages en tout genre », le français tomberait en désuétude comme langue usuelle ; il ne serait plus guère parlé en France même que par des érudits et des privilégiés ; il passerait à l’état de langue morte comme le grec et le latin. Il en serait de même des autres langues vivantes.

Quel magnifique progrès ! il n’y aurait plus qu’une seule et unique langue dans tout l’univers ! tous les hommes pouvant s’entendre et se comprendre dans le même jargon ! mais ce serait le commencement de la réalisation du beau rêve de la fraternité universelle, le retour à l’âge d’or ; ver eral æternum ! Un seul et unique patois, mais ce serait le cas d’appliquer le dicton trivial et populaire : Ni Français, ni Russes, ni Anglais, rien que des Auvergnats… pardon, rien que des espérantistes, ce qui se ressemble bien un peu. Et la délégation, et son comité, et les espérantistes seraient au comble de leurs vœux, et dans l’exultation !

Tel pourrait être le résultat de la concurrence faite par la langue artificielle à nos langues vivantes et, en particulier, à celle que nous autres nous sommes assez niais pour appeler encore notre belle langue française.

Cette concurrence entraînerait de bien pénibles conséquences pour la corporation digne d’intérêt des professeurs de langue. Ils en sont, d’ailleurs, avertis officiellement par M. le capitaine Lemaire, l’un des promoteurs de la délégation, et grand espérantiste ; il décrit : « Le congrès, étant composé surtout de professeurs de langue, devait naturellement rejeter l’idée d’une langue nationale, qui tuera l’exploitation de l’enseignement de tant d’autres langues. »