Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/100

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Dans un de ses romans, Georges montrait un homme, parfaitement heureux, devenant du jour au lendemain amoureux de la femme d’un ami. Ni l’un, ni l’autre n’avait rien fait pour cela. Ils avaient eu l’impression d’avoir été happés. Quelques critiques avaient blâmé l’auteur de ce qu’ils considéraient comme une invraisemblance. Il y a toujours, disaient-ils, dans ces passions subites une évolution que l’observateur peut suivre. Les hommes n’agissent pas ainsi, ne deviennent pas adultères sans traverser toute une série d’états intermédiaires qui préparent leur acte. De son côté, sans le dire par respect pour l’opinion des critiques, Georges soutenait qu’il avait raison. La passion dans ces cas a la soudaineté de la foudre. Et ce sont justement les gens heureux qu’elle atteint, les arrachant à la fausse sécurité où ils se complaisaient pour les précipiter dans la passion et l’angoisse. On peut dire littéralement que la passion les prend par surprise. D’ailleurs, depuis quand les obstacles — et ici le bonheur eût pu être considéré comme un obstacle — ont-ils empêché l’épanouissement de la passion ou même retardé l’intoxication des âmes ?

Georges ne niait pas qu’un grand amour pût éclater dans le cœur d’un solitaire ou d’un