Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/11

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plairaient. Il ne se reconnaissait jamais dans Les photos qu’on faisait de lui. « Je ne m’habitue pas à me voir tel que j’apparais aux autres », pensa-t-il. Devant la caméra, ses traits se dissolvaient, son âme se désintégrait, ne laissant qu’une coquille. C’est ainsi pourtant qu’on le voyait ; un homme de quarante-cinq ans. Mais ce chiffre le touchait peu. Il ne le sentait pas. On a vingt ans, trente ans pour soi ; on a quarante-cinq ans pour les autres. Il se produit à quarante ans une fissure que l’esprit ne traverse pas volontiers. D’autre part, certains visages mettent du temps à se révéler, à devenir ce qu’ils sont. Ils disent trop ou trop peu. C’était le cas du père de Georges jusqu’à l’âge de soixante ans.

Jeanne s’était approchée et regardait les épreuves par-dessus l’épaule de son mari.

— Ce portrait me déçoit, dit-il.

— Il s’en dégage pourtant une impression de calme, de solidité, dit la jeune femme, peut-être aussi d’un peu d’amertume…

— Je n’étais pas à l’aise…

— Dans ta dernière photo, tu portais des verres.

— Mais il y a autre chose. C’est sans doute que je n’ai pas suffisamment l’air de l’écrivain