Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

père alors. Ce portrait appartenait à ses souvenirs d’homme. Dans les réminiscences de cette époque, il ne voyait ses parents que dans des tableaux séparés de ceux dont il faisait lui-même partie. Sa mémoire avait-elle effacé leurs figures, recomposé les tableaux sans eux ? Il n’aurait su le dire. Pourtant, il se rappelait les bonnes qui prenaient soin de lui et de ses frères. Il reconnaissait leurs noms, leurs visages. Ses parents voyageaient beaucoup. Il eut la révélation de contrées étrangères ; il apprit à aimer les trains et les gares. Au point qu’un paysage sans chemin de fer n’avait aucun intérêt à ses yeux. Ses premières méditations à la campagne, sa découverte de la pensée personnelle s’étaient déroulées le long de voies ferrées. La marche sur les traverses impose à l’esprit un rythme, un rythme qu’il aimait.

Un des avantages de l’éducation que ses parents lui faisaient donner, c’est qu’il ne fut pas question de l’envoyer à l’école avant l’âge de huit ans. Une petite boulangère survivait dans sa mémoire comme un être de clarté surréelle. Aucune femme ne lui était apparue ainsi depuis. La petite cour intérieure où il la rencontrait demeurait un des repères lumineux de son enfance.