Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/93

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sous forme d’effluves vivants. Parfois, il s’abandonnait à la joie qui débordait de son cœur, mais presque aussitôt un prolongement lui apparaissait et la plume se remettait à courir.

Tous les jours, il passait ainsi quatre ou cinq des plus belles heures du matin enfermé dans sa chambre pendant que Jeanne s’occupait de son côté. Il lui avait parlé de son roman et elle l’encourageait. Le récit se déroulait sur trois plans, simultanément. Les personnages, devaient s’incarner, disait Jeanne ; qu’ils se déganguent, qu’ils s’épanouissent dans une action extérieure. Mais Georges redoutait de trahir l’œuvre qu’il avait conçue toute intérieure. D’autres racontaient beaucoup mieux les histoires. Son héros refusait toute concession à la mode, tout ajournement dans la poursuite de la perfection entrevue.

L’écrivain vivait dans une sorte de durée en dehors du temps réel. Naguère, il avait expérimenté la même sensation quand il avait cessé de fumer. Le premier effet de la suppression du tabac c’est d’allonger les heures. Georges devait sans cesse se rapporter à sa montre, l’ancien horaire ayant perdu toute signification. Croyait-il avoir travaillé une heure. Non ! Sa montre indiquait à peine vingt minutes.