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ARCHITECTURE.

demeure future, la chute, la rédemption, la vie, la mort, et toutes ces pensées se fondent dans un seul et unique sentiment, le sentiment religieux. L’édifice passe donc de l’originalité au caractère et il s’élève du caractère à la beauté, à mesure que les pensées se groupent, se pressent, se généralisent, et, en un sens inverse, le beauté descend au caractère et le caractère à la simple originalité, à mesure que le nombre des pensées diminue et qu’elles se précisent pour entrer dans un cadre plus étroit, pour affecter, par exemple, la forme spéciale d’une fontaine, d’un observatoire, d’une balle ou d’une maison privée… Mais, encore une fois, ces idées particulières, ces nuances que l’architecture manifeste vivement dans son langage silencieux, elles n’appartiennent qu’aux civilisations avancées, à celles où les relations humaines se compliquent et se développent, où les citoyens se partagent, où les intérêts se divisent. Dans l’enfance de l’humanité, lorsque les sentiments sont neufs et les âmes naïves, le peuple entier, réuni dans une croyance commune, concourt à la construction du monument qui en sera le symbole. Devant exprimer avec énergie le sentiment universel et le transmettre aux âges futurs, ce monument est colossal et il est bâti avec l’ambition d’une durée éternelle ; il est l’image d’une société jeune, forte et simple, il a un grand caractère ; il est sublime.

Nous avons au précédemment que l’on peut déjà caractériser l’architecture par le choix des dimensions, des lignes et des surfaces, par la distribution des pleins et des vides ; nous verrons bientôt, tout ce qu’ont inventé les hommes pour ajouter à l’éloquence de l’architecture, et comment un peuple, artiste par excellence, a eu le privilège d’imprimer à ses monuments un caractère élevé, adouci et libre, qui se confond avec la beauté ! même.

Harmonie. Le mot harmonie, en grec αρμονία signifie, dans son acception primitive, liaison, assemblage, emboîtement. Les auteurs grecs l’appliquaient à l’architecture. Pausanias l’a employé en parlant des murs cyclopéens de Tyrinthe, formés de très grandes pierres entremêlées de plus petites. « Chacune de ces petites pierres servait l’harmonie aux grandes. » C’est donc de l’architecture que les musiciens ont emprunté le mot harmonie, que l’on penserait avoir été créé tout exprès pour la musique.

Une architecture a de l’harmonie lorsque tous ses membres sont tellement liés entre eux qu’on n’en peut retrancher ou transposer un seul sans rompre l’unité de l’édifice. La variété dans l’unité, c’est la loi de tous les arts, et cette loi est exprimée par le mot harmonie. Ici encore, c’est l’organisme du corps humain qui doit servir de modèle à l’architecte, non sans doute pour qu’il entasse une imitation ridicule, mais pour qu’il applique à ses ouvrages les lois du mécanisme le plus merveilleux