Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

qui fut jamais. Malgré le nombre prodigieux des parties qui le composent, le corps humain est un, il est aussi harmonieux que divers, et, chose admirable, c’est en répétant les organes que la nature y a exprimé l’unité. L’homme est justement parce qu’il est double. En voyant dans un corps deux yeux semblables, deux oreilles semblables, deux bras égaux, deux jambes pareilles en hauteur, en largeur, en épaisseur, nous apercevons tout de suite l’unité de plan qui a présidé à la création du corps humain. Si l’homme se présentait à nos regards avec un bras droit qui fût plus long ou plus court, plus gros ou plus mince que le bras gauche, nous croirions avoir devant nous deux êtres, tandis que la répétition identique des membres accuse l’identité de la personne, sa parfaite unité. La symétrie est donc comme un second coup du burin qui grave plus profondément les traits que le premier coup n’avait fait que dessiner. Ainsi l’entendent les grands maîtres de la musique, lorsque, pour faire pénétrer dans l’âme de la foule le sentiment de leurs mélodies, ils y insistent par une répétition quelquefois redoublée, et se font comprendre à l’oreille par des phrases symétriquement similaires, qui sont, à vrai dire, la construction architectonique de leur pensée.

En transportant dans l’architecture la loi de son être, l’homme a eu en vue de reproduire l’harmonie qu’il avait admirée en lui-même, cette harmonie qui est nécessaire à ses oreilles autant qu’à ses yeux, à son esprit autant qu’à son corps, car il la veut, il la poursuit partout, en peinture, en sculpture, en musique, dans tous les arts, dans tous les spectacles, même dans ceux qui tiennent à l’ordre moral. « Quel mépris ne sentons-nous pas, dit le père André (Essai sur le beau), quand nous voyons un air cavalier dans un homme d’église, un air de village dans un courtisan, un air de Caton dans un jeune homme, un air de petit maître dans un vieillard, en un mot, un air de masque sur un visage ? »

La première cause de l’harmonie en architecture, c’est l’unité de plan qui engendre naturellement l’unité d’élévation et l’unité de style, surtout lorsque l’entière exécution du plan a pu être dirigée par celui qui l’a conçu. Le palais des Tuileries, pour avoir été bâti, continué, modifié, interrompu, repris, défait et refait par plusieurs architectes, présentait le plus choquant de tous les défauts d’harmonie. Il semblait qu’au lieu de dissimuler, au moins par la ressemblance du style, les additions, les allongements successifs qu’on y voulait faire, on eût pris à tâche d’accuser les disparates de l’édifice en changeant d’architecture à chacune des pièces de rapport dont se composait ce vaste palais.

Ce qui importe en architecture, c’est l’unité d’impression qui doit sortir du sein de la variété et s’en dégager clairement. Si la pensée de l’architecte est grave, que tout soit sérieux dans son œuvre jusqu’à la couleur et au caractère des matériaux qu’il emploiera, que le plan soit simple et formé de lignes rigides, que l’élévation ne soit pas tourmentée par des