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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

n’est plus maître de lui-même ; il dépend de la fin qu’on lui impose et de toutes les conditions qui en découlent ; il les subit fatalement, car on ne bâtit pas pour bâtir. Religieuse, militaire, domestique, l’architecture a nécessairement un but : le château, le temple, le palais, le tombeau, l’aqueduc ; les membres mêmes de l’édifice, la fenêtre, la porte, même la porte Triomphale, rien de tout cela n’existe par soi, ne s’explique par soi-même ; tous les esprits y cherchent ou nu but on un sens symbolique… Ce rapport à une fin est le vice incurable de l’architecture. »

Hegel, au contraire, a distingué deux architectures : l’une indépendante, celle qui est un symbole, c’est-à-dire qui exprime une pensée générale et vague et qui est libre de toute destination positive, comme par exemple un obélisque ; l’autre dépendante, celle qui est soumise à l’utilité pratique, comme par exemple la maison. Mais la dépendance de l’architecte ne cesse, on le voit, que dans des œuvres d’une simplicité rudimentaire, où la beauté ne peut trouver place, car le beau est inséparable de l’harmonie, qui est elle-même inséparable de la variété. Un obélisque, une pyramide, peuvent être sublimes ; ils ne sauraient être beaux. Il est donc vrai de dire que le beau de l’architecture n’est pas indépendant et absolu ; il est relatif et subordonné à une fin : c’est là sans doute le vice de ce grand art ; mais ce vice n’est pas incurable.

L’homme est libre, avons-nous dit, en vertu du principe même qui lui fait comprendre la nécessité. L’architecte peut donc reconquérir en quelque sorte sa liberté, s’il transforme une nécessité physique en une nécessité morale, c’est-à-dire s’il accomplit comme une œuvre de choix volontaire ce qui lui est imposé par la nature des choses. Le sage fait de la nécessité une vertu : l’architecte en fait une beauté.

Il est même à remarquer, en faveur de l’architecture, que ses œuvres sont de pures créations de l’esprit. Si, d’une part, elle est forcée d’obéir aux lois de la matière et aux rigueurs de la science, de l’autre, elle n’est point assujettie, comme la peinture et la statuaire, à l’imitation précise d’un modèle fourni par la nature. Au lieu d’avoir à imiter les ouvrages de Dieu, elle n’imite que ses pensées. Tout ce qu’elle touche, elle le façonne à son gré. Au moyen de matières inertes, pesantes, souvent grossières, elle exprime l’invisible, l’impondérable, l’idéal. Par là elle retrouve magnifiquement son indépendance et sa grandeur.

Nous avons déjà montré comment les idées et la religion des différents peuples modifient les grands aspects de leurs monuments : nous devons considérer maintenant les variétés qu’engendrent dans l’architecture le climat, les matériaux et la configuration du sol.

Le climat. Transportons-nous au commencement de la civilisation, dans les pays qui furent le berceau de l’humanité et d’où nous vient la