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ARCHITECTURE.

qu’offrent les monuments chez les divers peuples. Pour nous qui étudions ici l’architecture, non comme une science, mais comme un art, c’est-à-dire dans les sentiments qu’elle fait naître et dans le beau qu’elle exprime, nous n’avons guère à nous occuper que du côté apparent des matériaux. C’est pourquoi le plâtre, le mortier, le ciment, ne sont point de notre ressort, si ce n’est dans les parties extérieures de leur emploi. Il en est de même des pierres et des briques. Nous avons à les considérer par cette surface visible qu’on appelle le parement, et non par cette surface, toujours cachée aux regards, qu’on appelle le lit.

Les pierres se forment dans la carrière par couches, et l’expérience a démontré qu’elles ont plus de consistance dans cette situation naturelle que dans toute autre. On peut se représenter la pierre comme un livre, qui, posé à plat, supporterait de grands fardeaux, tandis que, posé sur la tranche, il céderait au moindre poids qui en écarterait les feuillets. Employer une pierre en délit, c’est la placer dans un autre sens que celui qu’elle avait dans sa formation ; en d’autres termes, c’est faire un parement de ce qui doit être un lit. Les colonnes de la façade de Versailles, du côté des jardins, et celles de la cour du Louvre présentent cette anomalie. Il est vrai que ces colonnes ne portent rien et sont appliquées à l’édifice comme une pure décoration ; mais cela même — nous le verrons plus tard — est une première faute qui ne saurait justifier la seconde. Cette faute, elle a été commise plus d’une fois dans nos constructions du moyen âge ; mais du moins elle avait alors pour excuse la nécessité. « Ne pouvant, dit M. Viollet-le-Duc, ni transporter ni surtout élever à une certaine hauteur des blocs de pierre d’un fort volume, les constructeurs romans se contentèrent de l’apparence ; ils dressèrent des parements formés de placages de pierres posées en délit le plus souvent et d’une faible épaisseur. » Ainsi, en puisant dans les entrailles de la terre les matériaux dont il se servira, l’architecte y trouve le principe de leur création et le secret de leur solidité. Il n’a donc plus qu’à suivre dans son ouvrage les lois que la nature a observées dans le sien, lorsqu’elle a formé lentement et par couches successives des concrétions qui ont pris, en naissant au sein des carrières, une assiette inébranlable.

Dans tous les monuments de l’architecture, avons-nous dit, la solidité doit être apparente autant que réelle, et faire ainsi partie de la beauté. Il ne suffit pas à l’architecte de persuader l’esprit, il lui faut convaincre les yeux. Mais il y a deux genres de solidité, la pesanteur et la cohésion. La solidité par la pesanteur s’appelle stabilité. Quand les matériaux sont énormes, ils sont stables dans leur poids, mole suâ ; il est alors inutile de les cimenter. Lorsqu’ils ont construit ces murs cyclopéens qui sont une superposition de rochers, les Pélasges n’ont usé d’aucun ciment. Telle pierre qui cube vingt-quatre mètres et qui pèse dix milliers peut être considérée à elle seule comme une masse de maçonnerie adhérente au