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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

ce que nous avons développé dans une proposition précédente, savoir : que les formes employées en architecture ne sont pas toujours indiquées par les besoins de la construction, et que la poésie de l’art les a modifiée pour leur prêter une simple éloquence. « Par une fiction pure, avons-nous dit, l’architecte supposera dans son édifice des matières hétérogènes, associées pour constituer un tout… Il ira jusqu’à figurer, dans ses métaphores de pierre ou de marbre, des substances molles mêlées à des substances rigides, et des matières élastiques pressées par des matières pesantes. » Ou le voit, en effet, l’image de l’élasticité est venue remplacer, dans les bases ioniennes, ce que présentait d’énergique et d’inflexible le lût dorique sortant du sol comme un arbre qui aurait ses racines dans les fondations de l’édifice.

Mais si l’expression de la colonne est déjà sensiblement modifiée par le dessin de la base, les proportions du fût vont lui imprimer un caractère de sveltesse et d’élégance, convenable à la demeure d’une divinité gracieuse, et en rapport avec la pensée qui préside à la construction du monument. Tandis que, dans l’ordre dorique véritable et pur, le dorique grec, les colonnes les plus sveltes, qui sont celles du Parthénon d’Athènes, ont moins de six diamètres en hauteur, celles de l’ordre ionique sont hautes de neuf diamètres, mesure moyenne qui admet quelques variétés en plus ou eu moins. Ainsi, dans les colonnes du fameux temple d’Éphèse, selon le témoignage de Vitruve, le diamètre n’était que la huitième partie de la hauteur, tandis que celles de l’Érechthéion d’Athènes, portique du nord, qui sont encore debout, ont en hauteur neuf diamètres et un dixième[1]. Un tel changement dans les proportions nous éloigne déjà beaucoup de la sévérité dorique ; mais à ce premier effet s’ajoute encore l’impression que produit un entre-colonnement plus large.

C’est une loi du bon sens que, plus les colonnes sont élancées, plus il convient de les rapprocher pour compenser leur faiblesse par leur nombre. Plus elles sont massives, au contraire, plus on peut les espacer. Ce principe n’a pourtant rien d’absolu, et, tant que la solidité n’est pas compromise, il se prête aux diverses nuances d’impression que l’architecte eut produire. En serrant les colonnes, déjà courtes, de l’ordre dorique, les Grecs avaient accentué avec énergie la solidité et la force ; ils avaient pour ainsi dire frappé sur le spectateur à coups redoublés. Dans l’ordre ionique, ils suivirent la marche inverse, et, non contents d’allonger les colonnes, ils en augmentèrent aussi l’espacement ; mais ce fut seulement par degrés (ju ils

  1. On donne le nom général d’Érechthéion ou d’Érechtéum aux trois temples de Minerve Poliade, d’Érechthée et de Pandrose, lesquels n’en forment qu’un seul et s’élèvent sur l’Acropole d’Athènes, tout près du Parthénon et au nord de ce monument.

    Le temple de Minerve Poliade a son portique tourné vers l’orient ; celui d’Érechthée regarde le nord, et le Pandroséion ou Pandrosium, qui est porté sur des cariatides, regarde le sud, c’est-à-dire le Parthénon.