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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

pensée, et l’individu, qui est un enfant de la vie. Que l’artiste épouse donc la nature ; qu’il l’épouse sans mésalliance, mais qu’il s’unisse avec elle d’une indissoluble union. C’est là le problème.

L’antiquité grecque l’a résolu, ce problème. Dans chacune des figures qu’elle a créées pour l’éternelle admiration du monde, elle a su imprimer cet accent particulier que nous appelons le caractère, c’est-à-dire que, par une fusion aussi merveilleuse que celle d’où sortit l’airain de Corinthe, elle a su conserver une physionomie individuelle, même à la beauté idéale. Minerve, Apollon, Hercule, Vénus, sont des divinités immortelles, parce qu’elles représentent les pures idées de sagesse, de poésie, de force et de grâce ; mais ces dieux ont une forme personnelle, sans quoi ils n’auraient ni physionomie ni caractère, et ils seraient confondus en une seule et même beauté. L’artiste grec a donc puisé dans son esprit l’idée absolue de grâce et de sagesse, et il a pris dans la nature les traits qui caractérisent Vénus et Minerve.

Ces déesses, différemment belles, mais également adorables, deviennent ainsi des caractères dans l’Olympe. Divines par la pensée, humaines par la forme, elles vont réconcilier la nature et l’idéal, et marier le charme de la vie à la dignité de l’abstraction. L’art les a fait descendre de l’Empyrée pour qu’elles apparussent au milieu de nous, familières et vénérables, comme des pensées vivantes :

Minerve est la prudence, et Vénus la beauté.

III

GRANDEUR ET MISSION DE l’ART

Pour se faire une idée de l’importance des arts, il suffit de se représenter ce que seraient les grandes nations de la terre, si l’on supprimait de l’histoire les monuments qu’elles ont élevés à leurs croyances, les ouvrages où elles ont laissé la marque de leur génie. Il en est des peuples comme des hommes : il ne reste d’eux après leur mort que les choses émanées de l’esprit, c’est-à-dire la littérature et l’art, des poèmes écrits et des poèmes de pierre, de marbre ou de couleur.

Si l’Égypte était inconnue, si le souvenir de ce pays était complètement effacé de la mémoire humaine, quelque jour un philosophe, voyant se dresser dans les solitudes de Memphis trois pyramides gardées par un sphinx, devinerait l’existence d’un peuple religieux, esclave, dominé par le mystère, immobile dans ses idées, plein de foi dans l’immortalité de la vie. Par