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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

nieuses ; c’est que le sublime, comme nous l’avons dit, appartient à l’univers, et que le beau est le partage de l’humanité.

Mais l’aspect le plus frappant de la ligne droite, c’est qu’elle est un symbole de l’unité, car il n’y a qu’une seule ligne droite, tandis que les lignes courbes sont innombrables, ce qui lait considérer la ligue courbe comme une image de la variété. Maintenant, il en est des couleurs comme des lignes ; elles ont leur imité, qui se résout dans le blanc ou dans le noir. En s’affaiblissant à l’extrême, elles vont toutes s’évanouir dans le blanc, qui est l’unité de lumière sans couleur ; en prenant leur plus haute intensité ; elles vont se perdre toutes dans le noir, qui est l’unité de couleur sans lumière. Entre ces deux pôles se joue le drame merveilleux des harmonies qui nous enchantent. Du sein des ténèbres où elle est endormie et concentrée, la variété sans fin des couleurs se réveille au premier baiser de la lumière et remplit le monde de ses merveilles. En traversant l’atmosphère terrestre, le rayon du soleil s’imprègne des trois couleurs qu’on nomme primitives, et qui sont : le rouge, le jaune et le bleu ; puis, du mélange de ces couleurs primordiales naissent, pour l’enchantement de nos yeux, d’abord les trois couleurs secondes et composites, l’orangé, le vert, et le violet, ensuite toutes les colorations intermédiaires, toutes les nuances imaginables. Cette fois la nature, malgré sa disgrâce, reprend la supériorité sur l’art. Si elle a perdu le secret des belles formes, ou si elle ne les montre plus que dispersées, elle a du moins gardé le secret des couleurs, aussi bien dans les ensembles que dans les fragments isolés. Chez elle, l’harmonie des tons ne s’est jamais démentie. C’est elle qui fait naître sous nos pas ces fleurs sans nombre qui revêtent des couleurs si délicates ou si superbes, et qui, suivant la disposition de nos cœurs, nous offrent, en s’élevant au blanc, des nuances gaies, ou, en descendant au noir, des teintes mélancoliques. Ici éclatent l’écarlate et la pourpre dans le coquelicot, la pivoine et la verveine, le jaune de la jonquille et du bouton d’or, les divers blancs du lis, de la marguerite et de la jacinthe, et ce ton plus doux de la reine des fleurs, qui, dans la carnation humaine, exprime la fleur de la vie. Là, des couleurs plus modestes et, pour ainsi dire, d’un mode mineur, répondent aux tristesses de notre âme : le bleu tendre de la pervenche, qui fut si chère à Rousseau, le bleu obscur de la scabieuse, le bleu-cramoisi de la violette et le sombre vert du lierre, qui croît sur les ruines et sur les tombeaux.

Mais les spectacles du ciel sont encore plus merveilleux, parce qu’ils composent de vastes ensembles, de sublimes décorations dont le motif varie éternellement, à commencer par les blancheurs de l’aube, pour finir par le noir de la nuit. Chaque jour le soleil renouvelle l’inépuisable écrin des diamants de l’aurore et des pierreries du couchant. Chaque jour il change la mise en scène de sa disparition, soit qu’à l’horizon de l’Océan il allume des incendies que toutes les vagues de la mer n’éteindraient point,