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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

pour la chasse ou se déplacent continuellement pour chercher des pâturages nouveaux. Elles passent donc par l’état de chasseur et par la vie pastorale, avant d’arriver à l’agriculture, qui suppose les hommes fixés, et à l’architecture, qui les suppose réunis.

Après Nemrod, qui fut « un puissant chasseur devant l’Éternel », dit la Genèse, vint Assur, qui bâtit Ninive et les rues de la ville. Mais des villes ont pu exister avant qu’il s’élevât aucun de ces monuments qui attestent l’invention d’une véritable architecture. Tant que les hommes ne sont pas liés entre eux par une croyance commune, ils ne forment pas encore un peuple, car l’intérêt, qui a pu les rassembler hier, demain peut-être les divisera. La société n’est bien constituée que du jour où l’idée de Dieu, énoncée par un prophète ou formulée par la poésie, réunit les hommes dans une sphère supérieure en leur inspirant un même sentiment de terreur ou d’adoration pour l’Être mystérieux qui les a jetés dans l’histoire. C’est alors seulement que s’élèvent les premiers ouvrages de l’architecture, et ces ouvrages n’ont aucun rapport avec l’habitation de l’homme. Ce sont de purs symboles qui expriment une haute pensée religieuse ou qui serviront à consacrer un grand souvenir. « Venez, bâtissons-nous une ville, se disent les descendants de Noé, et une tour dont le sommet soit jusqu’aux cieux, et acquérons-nous de la renommée, de peur que nous ne soyons dispersés sur toute la terre. » Ainsi, dans la crainte d’un nouveau déluge ou de quelque autre catastrophe, les Noachides élèvent la tour de Babel, soit comme un point de ralliement, soit pour transmettre aux générations futures, avec un témoignage de la puissance humaine, le souvenir du cataclysme où toute l’humanité avait failli périr. L’architecture est donc symbolique et religieuse au commencement des sociétés. Lorsque le langage est encore dans l’enfance, les peuples s’expriment par des signes plus que par des mots. Ils n’écrivent pas leurs idées, ils les montrent.

Le sentiment du beau, avons-nous dit, est inné dans l’homme ; mais il y est à l’état de réminiscence obscure, comme s’il l’eût apporté d’un monde antérieur où il aurait jadis vécu. Ce sentiment dut être réveillé par la contemplation de l’univers, dès que l’homme, déjà plus puissant que la nature, eut assez de loisir pour la contempler. Ainsi naquirent les premiers arts. Une certaine imitation en fut sans doute le principe, mais une imitation éloignée, une pure analogie. L’homme, voulant reproduire à sa manière la création qui l’étonné, cherche tout d’abord à se former un monde artificiel. Or tout le spectacle de la création est renfermé dans l’espace, et il se continue dans le temps. Mais l’homme, ne pouvant embrasser l’espace sans bornes ni le temps sans limites, les définit, les proportionne à lui-même et les mesure. En mesurant l’étendue,