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ARCHITECTURE.

plane, unie, nos regards ne pourront l’embrasser qu’en bloc : le procédé par lequel ont été construites ces masses énormes se trouvant dissimulé, et toute mesure échappant à nos sens, l’étendue paraîtra immense, et immense le pouvoir de l’architecte.

Donc, pas de grandeur en architecture si les surfaces sont multipliées et rompues, si les lignes sont brisées. Ce qui profiterait ici à la beauté détruit le sublime. Il est dans la Thébaïde des temples de granit élevés par ces dynasties fameuses qui régnèrent sur l’Égypte, il y a plus de trois mille ans : ces temples ont des surfaces de vingt-cinq ou trente mètres de hauteur, parfaitement unies, et qui produisent sur tout voyageur l’effet du sublime. Si on les imagine partagées en trumeaux qui, coupant l’uniformité de ces murailles colossales par des projections variées, mais symétriques, y feraient jouer la lumière, l’ombre et les reflets, on intéresserait les yeux par les effets du clair-obscur, on introduirait la variété dans la vaste unité de ces façades imposantes : on les rendrait belles peut-être ; elles cesseraient d’être sublimes.

La rectitude et la continuité des lignes. — L’homme, ayant en lui-même un modèle de beauté, n’a besoin que de se connaître pour découvrir les lois du beau ; mais c’est dans le sein de la nature antérieure, dans les grands aspects de l’univers qu’il trouve les sources du sublime. Si nous regardons la scène du monde, avons-nous dit, nous y voyons la ligne droite dominer dans tous les spectacles sublimes : les rayons du soleil, la majesté des plaines de l’Océan, les confins apparents de l’horizon, les rochers à pic, les abîmes. Mais, sans porter aussi loin nos regards, il suffit d’observer les objets naturels dont nous sommes environnés pour trouver des causes, toujours les mêmes, aux différentes impressions que produit sur nous la physionomie des choses.

Toute matière est circonscrite par des lignes droites ou par des lignes courbes. Les lignes droites déterminent des formes angulaires ; des lignes courbes enserrent des formes obtuses, émoussées. Or, dans la nature, les corps qui affectent des formes angulaires sont les rocs, les pierres, les métaux, tout ce qui est dur, tout ce qui est durable. Un arbre fort, une plante robuste s’élèvent en ligne droite, et, si la tempête les tourmente, ils ont plutôt rompu que plié ; au contraire, les plantes délicates, les fleurs qui vivent un jour ne présentent que des courbes ; pas d’arête vive, rien d’anguleux : dans leur port, dans leur mouvement ; leur tête penche, leurs branches s’inclinent, leur tige plie et ne rompt pas. Ainsi les formes angulaires expriment en général la force des êtres, la densité de leurs fibres, l’énergie de leur résistance aux éléments contraires, et par conséquent leur durabilité, tandis que les formes curvilignes annoncent la douceur, la fragilité, la souplesse.