Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/377

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que la Russie a servi sans le vouloir l’avènement du suffrage universel et du socialisme. Parce que Bismarck unifiait l’Allemagne au profit de la Prusse monarchiste et absolutiste, le tsarisme a secondé deux fois les desseins de Bismarck par une neutralité complaisante : une fois en 1866, contre l’Autriche ; une fois en 1870, contre la France. Or, Bismarck, malgré tout, ne pouvait lier l’Allemagne que par le lien du suffrage universel, et il dut en faire comme l’anneau d’or du nouvel empire. En outre, la classe ouvrière allemande, qui ne pouvait prendre pleine conscience de son unité, par conséquent de son existence de classe, dans une Allemagne particulariste et morcelée, a développé sa large action politique sur le large terrain de l’Allemagne unifiée.

En somme, le mode de croissance de la démocratie, dans les États de l’Europe occidentale, a déconcerté et déconcerte toute intervention violente des puissances d’oppression. Ce n’est pas par explosion soudaine que la démocratie prend possession des États et que le socialisme prend possession de la démocratie. Les lois par lesquelles, de 1860 à 1885, l’Angleterre a conquis à peu près le suffrage universel, sont aussi profondes que des révolutions, et pourtant, hors des érudits, nul n’en connaît la date précise. C’est comme une floraison