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MAJORITÉS RÉVOLUTIONNAIRES


Ces grands changements sociaux qu’on nomme des révolutions ne peuvent pas ou ne peuvent plus être l’œuvre d’une minorité. Une minorité révolutionnaire, si intelligente, si énergique qu’elle soit, ne suffit pas, au moins dans les sociétés modernes, à accomplir la révolution. Il y faut le concours, l’adhésion de la majorité, de l’immense majorité.

Il se peut — c’est un difficile problème d’histoire à résoudre — qu’il y ait eu des périodes et des pays où la multitude humaine était si passive, si inconsistante, que les volontés fortes de quelques individus ou de quelques groupes la façonnaient. Mais depuis la constitution des nations modernes, depuis la réforme et la renaissance, il n’y a presque pas un seul individu qui ne soit une force distincte. Il n’y a presque pas un individu qui n’ait ses intérêts propres, ses attaches au présent, ses vues d’avenir, ses passions, ses idées. Tous les individus humains sont donc depuis des siècles, dans l’Europe moderne, des centres d’énergie, de conscience, d’action. Et comme, dans les périodes de transformation où les antiques liens sociaux se