Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/531

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portent la marque toute vive, l’empreinte toute chaude de son effort individuel. L’article 732 du code civil, avec une sorte d’impassibilité et d’indifférence qui est la négation même du droit individuel, dit ceci : « la loi ne considère ni la nature ni l’origine des biens pour en régler la succession. » et comme est étroite, dans notre code, la subordination du droit individuel au droit familial, de la propriété individuelle à la propriété familiale constituée par la volonté de l’État ! Ce n’est pas seulement envers ses enfants vivants que le citoyen est tenu. Ce n’est pas à eux seulement qu’il doit réserver son bien, qui d’avance est le leur. C’est envers toute la suite des générations qu’il est lié : les descendants des enfants morts, à quelque degré que ce soit, sont appelés, par représentation, à succéder de droit, comme s’ils étaient l’enfant lui-même. Les petits-fils, les arrière-petits-fils héritent de droit, si la mort a emporté les générations qui les séparent du premier ascendant. Quand même les arrière-petits-fils seraient déjà riches par l’héritage recueilli de leur père et de leur grand-père, le bisaïeul est tenu de leur réserver leur part. Ainsi, la propriété individuelle est grevée d’obligations décisives au profit de la famille pour toute la suite des générations ; elle est hypothéquée, au profit du plus lointain avenir, d’une hypothèque éternelle.