Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/570

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Ainsi le propriétaire individuel se trouve d’emblée en face du fait acquis ; il est exproprié de son bien avant de savoir quel chiffre d’indemnité lui sera consenti. Défense nationale, c’est entendu ; et sans doute, cette grande excuse était nécessaire pour violer une garantie essentielle donnée à la propriété par la Déclaration des Droits de l’homme et inscrite à nouveau dans la Charte de 1830. Mais par la brèche ouverte au nom de la patrie, les grandes compagnies capitalistes vont passer.

Il y eut sous Louis-Philippe un grand essor des travaux publics. La bourgeoisie financière, industrielle et censitaire, multiplie les canaux ; elle entreprend, à grand renfort de primes d’État, de subventions et de garanties d’intérêt, la construction des voies ferrées. Mais quoi ! Tous ces canaux projetés, toutes ces voies ferrées qui vont sillonner le territoire vont bouleverser les propriétés individuelles ! Que de jardins emportés ou troués ! Que de domiciles abattus ! Que de domaines, petits ou grands, traversés et coupés en deux ! Et si les propriétaires résistent, s’ils épuisent à propos du chiffre de l’indemnité tous les délais de procédure, que de temps perdu ! Les lignes de chemins de fer concédées ne pourront entrer en construction que dix ans douze ans après leur concession ; il suffira de l’obstination de quelques possédants, sur le trajet