Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/262

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objet que l’utilité publique, je crois qu’on ne doit pas hésiter à mettre cet ouvrage au-dessus de tout ce qu’ont jamais fait les Romains ou autres nations anciennes, à l’exception de quelques ouvrages entrepris en Egypte, en Chaldée, et surtout à la Chine, pour la conduite des eaux, auxquels on peut joindre le canal de Languedoc. Le chemin, commençant à la porte Capène, va l’espace de trois cent cinquante milles de Rome à Capoue et à Brindes, ce qui faisoit la grande route pour aller en Grèce et dans l’Orient :

Appia loiigaram teritur regina viaruni.


Pour le faire, on a creusé un fossé de la largeur du chemin jusqu’au terrain solide. Ce fossé ou fondation a été rempli d’un massif de pierrailles et de chaux vive qui forme l’assiette du chemin, que l’on a recouvert- en entier de pierres de taille de grandeur et de figures inégales, mais si parfaitement dures qu’il n’y a pas encore une ornière, et si bien jointes que, dans les endroits où l’on n’a pas encore commencé de la rompre par les bords, il seroit très-difficile d’en arracher une pierre du milieu avec des instruments de fer. De chaque côté du chemin régnoit une banquette de pierre de taille dure pour l’usage des gens de pied, et qui en même temps formoit deux parapets ou contre-murs qui empêchoient la maçonnerie du chemin de s’écarter. Tout le long de la route, de cent en cent pas, on trouvoit alternativement un banc pour s’asseoir ou une borne pour monter à cheval ; enfin elle est bordée, de distance en distance, de mausolées, tombeaux ou édifices publics dont on trouve encore plusieurs ruines. Ce chemin est étroit ; dans les places oîi les deux banquettes subsistent encore, deux de nos grosses voitures n’y passeroient pas commodément ; d’oîi nous pouvons conclure que les essieux des Romains étoient beaucoup plus courts que les nôtres. Il y a bien quinze ou seize siècles que non seulement on n’entretient point ce chemin, mais qu’au contraire on le détruit tant que l’on peut. Les misérables paysans des villages circonvoisins l’ont écaillé comme une carpe, et ont enlevé en quantité d’endroits les grandes pierres de taille, tant des banquettes que du pavé.

C’est ce qui occasionne les plaintes amères que font sans