Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Il n’y a plus que les menteurs qui disent et les niais qui croient que Gênes est tout bâti de marbre ; en tout cas ce ne seroit pas une grande prérogative, puisqu’on n’a guère ici d’autre pierre, et qu’à moins d’être polie, elle n’est pas plus belle que d’autres. Mais c’est un grand mensonge encore de dire, comme Misson, qu’il n’y a que quatre ou cinq édifices de marbre ; car toutes les églises et autres bâtiments publics en sont en entier, de même qu’une grande partie des façades et de l’intérieur des palais. Si l’on vouloit faire une proposition générale, on pourroit dire, avec assez de vérité, que Gênes est tout peint à fresque[1]. Les rues ne sont pas autre chose que d’immenses décorations d’opéra. Les maisons sont tout autrement élevées qu’à Paris ; mais les rues sont si étroites que Misson peut vous assurer qu’il n’y a pas d’exagération de ma part quand je vous dis que la moitié des rues n’ont guère plus d’une aune de large, quoique bordées de maisons à sept étages ; de sorte que si d’un côté cette ville est beaucoup plus belle pour les bâtiments que Paris, elle a le désavantage de ne pouvoir montrer ce qu’elle vaut par le méchant emplacement[2]. D’ailleurs, je trouve quelque ridiculité à avoir employé le genre d’architecture le plus grand dans les plus petits terrains. Les palais n’ont souvent ni jardins ni cours, du moins qu’on doive nommer tels. Quand on entre dans les maisons, vous trouvez que quatre péristyles de colonnades, les unes sur les autres, enveloppent un terrain de vingt pieds en carré. Voilà comment cela est partout, sauf quelques maisons de la Strada nuova et de la Strada Balbi, les deux plus belles de la ville et supérieures à ce qu’il y a de plus beau à Paris. Les principales rues sont bien pavées en dalles, avec une allée de briques au milieu pour la commodité des mulets, les litières ayant été fort en


  1. Ces peintures, presqu’entièrement détruites, n’apparaissent plus que comme des fantasmagories. On en voit encore de rares vestiges sur la façade des deux palais Spinola, situés, le premier Strada nuova, le second à la montée de l’Acqua sola, et de quelques autres édifices de la place Fontane amorose.
  2. Cet emplacement au contraire détermine la beauté décorative de l’architecture. Il en résulte des hardiesses de construction que l’artiste n’aurait jamais inventées : par exemple le pont, d’une seule arcade gigantesque, qui franchit dix à douze rues dans le quartier Carignan.