Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/143

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rien dire, je la remarquais à peine ; je tournai enfin les yeux de son côté, et je répondis à quelques questions qu’elle m’adressa d’une voix douce et discrète. Je crus ne la ramener chez elle, quelques moments après, que par reconnaissance et politesse ; mais le lendemain et les jours suivants je cherchai à la revoir, et sa douce conversation, ses attentions caressantes me la firent bientôt préférer à mes tristes rêveries, qui étaient pourtant mon seul plaisir. Caliste (c’est le nom qui lui était resté du rôle qu’elle avait joué avec le plus grand applaudissement la première et unique fois qu’elle avait paru sur le théâtre), Caliste était d’une extraction honnête, et tenait à des gens riches ; mais une mère dépravée et tombée dans la misère, voulant tirer parti de sa figure, de ses talents, et du plus beau son de voix qui ait jamais frappé une oreille sensible, l’avait vouée de bonne heure au métier de comédienne, et on la fit débuter par le rôle de Caliste, dans The fair penitent. Au sortir de la comédie, un homme considérable l’alla demander à sa mère, l’acheta pour ainsi dire, et dès le lendemain partit avec elle pour le continent. Elle fut mise à Paris, malgré sa religion, dans une abbaye distinguée sous le seul nom de Caliste, fille de condition, mais dont on cachait le nom de famille par des raisons importantes.

Elle fut adorée des religieuses et de ses compagnes, et le ton qu’elle aurait pu contracter avec sa mère la décelait si peu, qu’on la crut fille du feu duc De Cumberland, et cousine par conséquent de notre roi ; et, quand on lui en parlait, la rougeur que lui donnait le sentiment de son véritable état fortifiait le soupçon, au lieu de le détruire. Elle fit bientôt tous les ouvrages de femme avec une adresse étonnante. Elle commença à dessiner et à peindre ; elle dansait déjà assez bien pour que sa mère eût pensé à en faire une danseuse ; elle se perfectionna dans cet art si séduisant ; elle prit aussi des leçons de chant et