Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

changé, je partis, laissant lady Betty grosse. Je parcourus en quatre mois les principales villes de la Hollande, de la Flandre et du Brabant ; et en France, outre Paris, je vis la Normandie et la Bretagne. Je ne voyageai pas vite à cause de mon petit compagnon de voyage ; mais je restai peu partout où je fus, et je ne regrettai nulle part de ne pouvoir y rester plus longtemps. J’étais si mal disposé pour la société, tout ce que j’apercevais de femmes me faisait si peu espérer que je pourrais être distrait de mes pertes, que partout je ne cherchai que les édifices, les spectacles, les tableaux, les artistes. Quand je voyais ou entendais quelque chose d’agréable, je cherchais autour de moi celle avec qui j’avais si longtemps vu et entendu, celle avec qui j’aurais voulu tout voir et tout entendre, qui m’aurait aidé à juger, et m’aurait fait doublement sentir. Mille fois je pris la plume pour lui écrire, mais je n’osai écrire ; et comment lui aurais-je fait parvenir une lettre telle que j’eusse eu quelque plaisir à l’écrire, et elle à la recevoir ?

Sans le petit Harry, je me serais trouvé seul dans les villes les plus peuplées ; avec lui je n’étais pas tout-à-fait isolé dans les endroits les plus écartés. Il m’aimait, il ne me fut jamais incommode, et j’avais mille moyens de le faire parler de Mistriss Calista, sans en parler moi-même. Nous retournâmes en Angleterre, d’abord à Bath, de là chez mon père, et enfin à Londres, où mon mariage devint public, lorsque lady Betty jugea qu’il était temps de se faire présenter à la cour. On avait parlé de moi et de mon frère comme d’un phénomène d’amitié ; on avait parlé de moi comme d’un jeune homme rendu intéressant par la passion d’une femme aimable ; les amis de mon père avaient prétendu que je me distinguerais par mes connaissances et mes talents. Les gens à talents avaient vanté mon goût et ma sensibilité pour les arts qu’ils professaient. à Londres, dans le monde on ne vit plus rien