Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/126

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quelques jours je méditais sur les moyens de prévenir un malheur qu’il m’est affreux de craindre, et qu’il me serait impossible de supporter. On ne me félicitait plus sur sa bonne grâce, on ne me louait plus sur son éducation, sans me donner une envie de pleurer que je ne surmontais pas toujours ; et tout le temps que j’étais seule, je le passais à imaginer un moyen de distraire ma fille, de lui rendre le bonheur, de lui conserver la santé et la vie ; car mes craintes n’avaient point de bornes. Je ne trouvais rien qui me satisfît. Il est de trop bonne heure pour aller à la campagne. Si j’en avais loué une dans cette saison, et que j’y fusse allée, quels propos n’aurais-je pas fait tenir ! Et même plus tard, si je l’avais prise près de Lausanne, outre que cela aurait été bien cher, cela n’aurait pas assez changé la scène ; et plus loin, dans nos montagnes ou dans la vallée du lac de Joux, ma fille, n’étant plus sous les yeux du public, aurait été exposée aux conjectures les plus injustes et les plus affligeantes. Votre lettre est venue : toute incertitude a cessé. J’ai dit mon dessein à ma fille. Elle accepte courageusement. Nous irons donc vous voir, à moins que vous ne nous le défendiez ; mais je suis si persuadée que vous ne nous le défendrez pas, que je vais annoncer notre départ, et louer ma maison à des étrangers qui en cherchent une. Le régiment de *** est dans votre voisinage. Je ne saurais en être fâchée pour mon cousin, parce que lui-même en sera très aise, et j’en suis bien aise à cause du Bernois. Si le jeune lord nous laisse partir sans rien dire ; si du moins, après notre départ, sentant ce qu’il a perdu, il ne court pas sur nos pas, ne m’écrit point, ne demande point à ses parents la permission de leur donner Cécile pour belle-fille, je me flatte que Cécile oubliera un enfant si peu digne de sa tendresse, et qu’elle rendra justice à un homme qui lui est supérieur à tous égards.