Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/131

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cette agitation, partageait son intérêt entre lui et nous, et tantôt passait machinalement le bras autour de M***, tantôt mettait la main sur son épaule, comme pour lui dire : je deviens véritablement votre ami ; si on vous apprend quelque chose de fâcheux, vous trouverez un ami dans un étranger chez qui vous n’avez vu jusqu’ici que de la sympathie, un certain rapport de caractère ou de circonstance. Moi, qui n’avais songé tout le jour à votre lettre et à ma réponse que relativement à ma fille, qui n’avais songé qu’à elle et à ses impressions, je fus si touchée de ce que je voyais de la passion de l’un de ces hommes, de la tendre compassion de l’autre, du sentiment et de l’habitude qui s’étaient établis entre eux et nous, et de l’espèce d’adieu qu’il fallait leur dire, que je me mis à pleurer. Jugez si cela les rassura, et si ma fille fut surprise !

Notre silence n’était plus supportable : l’inquiétude augmentait, mon parent pâlissait, Cécile pressait mon bras et me disait tout bas : mais, maman, qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ? Je suis folle, leur dis-je enfin. De quoi s’agit-il ? D’un voyage qui ne nous mène pas hors du monde, pas même au bout du monde. Le Languedoc n’est pas bien loin. Vous, monsieur, vous voyagez, je puis espérer de vous revoir ; et vous, mon cousin, vous allez du même côté que moi. Nous avons envie d’aller voir une parente fort aimable et qui m’est fort chère. Cette parente a aussi envie de nous voir ; rien ne s’y oppose, et je suis résolue à partir bientôt. Allez, mon cousin, dire à Monsieur et Madame *** que ma maison est à louer pour six mois.

Il le leur dit. L’anglais s’assit. Les tuteurs de ma fille et leurs femmes accoururent. Milord, nous voyant occupées à leur répondre, s’appuya contre la cheminée, regardant de loin. Le Bernois vint nous témoigner sa joie de ce qu’il passerait l’été plus à portée de nous qu’il ne