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NOTICE.

travailla de bien bonne heure à le contenir. Elle était médiocrement jolie, elle était sans dot ou à peu près (les fils dans ces familles ayant tout)[1], elle était très noble et ne pouvant déroger. Elle comprit sa destinée tout d’un regard, et s’y résigna d’un haut dédain sous air de gaieté[2]. Madame de Charrière était une âme forte. Près de mourir, en 1804, elle écrivait à un ami particulier à propos d’une visite importune et indiscrète qu’elle avait reçue :

« Si vous croyez que M. et Madame R... pourront vous mettre au fait de nous, vous êtes dans l’erreur. Monsieur m’a fait quelques lourdes questions pendant que M. de Charrière dormait. Après l’avoir écouté avec une sorte de surprise : « Tout ce que je puis vous répondre, monsieur, c’est que M. de Charrière se promène beaucoup dans son jardin, lit une partie du jour, et joue tous

  1. Nous aimons mieux laisser subsister dans le texte nos premières conjectures et inductions en ce qu’elles eurent d’un peu hasardé, afin de nous donner une occasion plus expresse de les éclaircir et de les rectifier. A propos de ces mots médiocrement jolie et sans dot, M. Gaullieur, héritier, par sa mère, de tous les papiers de madame de Charrière et des traditions les plus directes, écrit : « Son buste par Houdon, son portrait peint par Latour à l’époque de son mariage, et durant un séjour qu’elle fit alors à Paris, portrait qu’on peut voir dans ma bibliothèque à Lausanne, témoignent de l’étincelante beauté de madame de Charrière ; l’épithète est d’un de ses adorateurs. Quant à la dot, elle reçut 100, 000 florins de Hollande, qui retournèrent en majeure partie à un neveu dUtrecht, après la mort de M. de Charrière. »
  2. Sur ce point encore, M. Gaullieur nous met à même de rectifier l’idée qu’on pourrait prendre : Mademoiselle de Tuyll n’était point si en peine de trouver des épouseurs ; il fut successivement question de la marier avec le baron de Constant d’Hermenches, avec le marquis de Bellegarde, appartenant à la première noblesse de Savoie, puis avec un prince d’Anhalt, avec un Wittgenstein, avec un lord Wemyss, voilà toute une liste. Si elle s’accoutuma de bonne heure à envisager philosophiquement la destinée, comme cela est bien certain, ce dut être par d’autres motifs qui tenaient au tour de son esprit.