Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la semaine où nous avions un véritable concert. J’y ai entendu les plus habiles musiciens anglais et étrangers déployer tout leur art et se livrer à tout leur génie. L’attention et la sensibilité de Caliste excitaient leur émulation plus que l’or des grands. Elle n’y invitait jamais personne ; mais quelquefois des hommes de nos premières familles obtenaient la permission d’y venir. Une fois des femmes firent demander la même permission ; elle les refusa. Une autre fois des jeunes gens, entendant de la musique, s’avisèrent d’entrer. Caliste leur dit qu’ils s’étaient mépris sans doute, qu’ils pouvaient rester pourvu qu’ils observassent le plus grand silence, mais qu’elle les priait de ne pas revenir sans l’en avoir prévenue. Vous voyez, madame, qu’elle savait se faire respecter, et son amant même n’était que le plus soumis comme le plus enchanté de ses admirateurs. O femmes ! femmes ! Que vous êtes malheureuses, quand celui que vous aimez se fait de votre amour un droit de vous tyranniser, quand, au lieu de vous placer assez haut pour s’honorer de votre préférence, il met son honneur à se faire craindre et à vous voir ramper à ses pieds !

Après le concert, nous donnions un souper à nos musiciens et à nos amateurs. Il m’était permis de faire les frais de ces soupers, et c’était la seule permission de ce genre que j’eusse. Jamais il n’y en eut de plus gais. Anglais, Allemands, Italiens, tous nos virtuoses y mêlaient bizarrement leur langage, leurs prétentions, leurs préjugés, leurs habitudes, leurs saillies. Avec une autre que Caliste, ces soupers eussent été froids, ou auraient dégénéré en orgies ; avec elle, ils étaient décents, gais, charmants.

Caliste, ayant trouvé que l’heure qui suivait le souper était, quand nous étions seuls, la plus difficile à passer, à moins que le clair de lune ne nous invitât à nous promener, ou quelque livre bien piquant à en achever la lec-