Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/157

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petits-enfants. Je me soumets en gémissant à votre opinion, fondée sans doute sur celle du public. Si vous ne consultiez que votre propre jugement, si vous daigniez me voir, me connaître, votre arrêt serait peut-être moins sévère ; vous verriez avec quelle docilité je serais capable de leur répéter vos leçons, des leçons que je n’ai pas suivies, mais qu’on ne m’avait pas données ; et, supposé qu’en passant par ma bouche elles perdissent de leur force, vous verriez du moins que ma conduite constante offrirait l’exemple de l’honnêteté. Tout avilie que je vous parais, croyez, monsieur, qu’aucune femme de quelque rang, de quelque état qu’elle puisse être, n’a été plus à l’abri que moi de rien voir ou entendre de licencieux. Ah ! Monsieur, vous serait-il difficile de vous former une idée un peu avantageuse de celle qui a su s’attacher à votre fils d’un amour si tendre ? Je finis en vous jurant de ne consentir jamais à rien que vous condamniez, quand même votre fils pourrait en avoir la pensée ; mais il ne peut l’avoir, il n’oubliera pas un instant le respect qu’il vous doit. Daignez permettre, monsieur, que je partage au moins ce sentiment avec lui, et n’en rejetez pas de ma part l’humble et sincère assurance. »

En attendant la réponse de mon père, toutes nos conversations roulèrent sur les parents de Caliste, son éducation, ses voyages, son histoire en un mot. Je lui fis des questions que je ne lui avais jamais faites. J’avais écarté des souvenirs qui pouvaient lui être fâcheux ; elle m’ôta mes craintes et mes ménagements. Je voulus tout approfondir, et, comme si cela eût dû favoriser notre dessein, je me plaisais à voir combien elle gagnait à être plus parfaitement connue. Hélas ! ce n’était pas moi qu’il fallait persuader. Elle me dit que, par un effet de l’extrême délicatesse de son amant, personne, ni homme ni femme, dans aucun pays, ne pouvait affirmer qu’elle eût été sa maîtresse. Elle me dit n’avoir pas essuyé de sa part