Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/183

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qu’un homme triste et silencieux. On s’étonna de la passion de Caliste et du choix de lady Betty ; et, supposé que les premiers jugements portés sur moi n’eussent pas été tout-à-fait faux, je conviens que les derniers étaient du moins parfaitement naturels, et j’y étais peu sensible ; mais lady Betty, s’apercevant du jugement du public, l’adopta insensiblement, et, ne se trouvant pas autant aimée qu’elle croyait le mériter, après s’être plainte quelque temps avec beaucoup de vivacité, chercha sa consolation dans une espèce de dédain qu’elle nourrissait et dont elle s’applaudissait. Je ne trouvais aucune de ses impressions assez injuste pour pouvoir m’en offenser ou la combattre. Je n’aurais su d’ailleurs comment m’y prendre, et j’avoue que je n’y prenais pas un intérêt assez vif pour devenir là-dessus bien clairvoyant ni bien ingénieux, encore moins pour en avoir de l’humeur ; de sorte qu’elle fit tout ce qu’elle voulut, et elle voulut plaire et briller dans le monde, ce que sa jolie figure, sa gentillesse, et cet esprit de repartie qui réussit toujours aux femmes, lui rendaient fort aisé. D’une coquetterie générale, elle en vint à une plus particulière, car je ne puis pas appeler autrement ce qui la détermina pour l’homme du royaume avec lequel une femme pouvait être le plus flattée d’être vue, mais le moins fait, du moins à ce qu’il me sembla, pour prendre ou inspirer une passion. Je parus ne rien voir et ne m’opposai à rien, et, après la naissance de sa fille, lady Betty se livra sans réserve à tous les amusements que la mode ou son goût lui rendirent agréables. Pour le petit chevalier, il fut content de moi, car je m’occupais de lui presque uniquement : aussi me resta-t-il fidèle, et le seul véritable chagrin que m’ait fait sa mère, c’est d’avoir voulu obstinément qu’il fût mis en pension à Westminster lorsque, après ses couches, nous allâmes à la campagne.

Ce fut vers ce temps-là que mon père, m’ayant mené promener un jour à quelque distance du château, me parla