Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/189

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tout dressé, par lequel il me donnait trois cents pièces par an pour ma vie, et outre cela un douaire de cinq mille pièces. Il ne savait rien de mon héritage ; je le lui appris. Je refusai la rente, mais je demandai que, supposé que le mariage se fît, phrase que je répétais sans cesse, je conservasse la jouissance et la propriété de tout ce que je tenais et pourrais tenir encore des bienfaits de l’oncle de lord L***, et je priai qu’on me regardât comme absolument libre jusqu’au moment où j’aurais prononcé oui à l’église. Vous voyez, monsieur, lui dis-je, combien je suis troublée ; je veux que jusque là mes paroles soient pour ainsi dire comptées pour rien, et que vous me donniez votre parole d’honneur de ne me faire aucun reproche si je me dédis un moment avant que la cérémonie s’achève. — Je le jure, me répondit-il, au cas que vous changiez de vous-même ; mais, si un autre venait vous faire changer, il aurait ma vie ou moi la sienne. Un homme qui vous connaît depuis si longtemps, et n’a pas su faire ce que je fais, ne mérite pas de m’être préféré. Après ce mot, ce que j’avais tant souhaité jusqu’alors ne me parut plus que la chose du monde la plus à craindre. Il revint bientôt avec le contrat changé comme je l’avais demandé ; mais il m’y donnait cinq mille guinées pour des bijoux, des meubles ou des tableaux qui m’appartiendraient en toute propriété. Le ministre était averti, la licence obtenue, les témoins trouvés. Je demandai encore une heure de solitude et de liberté. Je vous écrivis, je donnai ma lettre au fidèle James. Il n’en vint point de vous. L’heure écoulée, nous allâmes à l’église et on nous maria… laissez-moi respirer un moment, dit-elle, et elle parut écouter les acteurs et la Caliste du théâtre, qui rendirent assez naturels les pleurs que nos voisins lui voyaient verser. Ensuite elle reprit : quelques jours après, les affaires qui regardaient l’héritage étant arrangées, et mon mari ayant été mis en possession du bien, il me mena à sa terre ; l’oncle de lord