Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/191

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plaignit ma situation, le tint éloigné de moi pour que je ne visse pas son chagrin et n’entendisse pas ses reproches, et dans le même temps elle ne négligea rien pour le consoler ni pour l’apaiser : elle fit plus. Je m’étais mis dans l’esprit que vous vous étiez marié secrètement avant que j’eusse quitté Bath, que vous étiez déjà engagé avant d’y revenir, que vous m’aviez trompée en me disant que vous ne connaissiez pas lady Betty, que vous m’aviez laissé arranger l’appartement de ma rivale, et que vous vous étiez servi de moi, de mon zèle, de mon industrie, de mes soins pour lui faire votre cour ; que, lorsque vous m’aviez témoigné de l’humeur de trouver chez moi M. M***, vous étiez déjà promis, peut-être déjà marié. Cette femme, me voyant m’occuper sans cesse de toutes ces douloureuses suppositions, et revenir mille fois sur les plus déchirantes images, s’informa, sans m’en avertir, de l’impression qu’avait faite sur vous mon départ, de la conduite de votre père, du moment de votre mariage, de celui de votre départ retardé par le mauvais temps, de votre conduite pendant le voyage et à votre retour. Elle sut tout approfondir, faire parler vos gens et sir Harry, et ses informations ont été bien justes, car ce que vous venez de me dire y répond parfaitement. Je fus soulagée, je la remerciai mille fois en pleurant, en baisant ses mains que je mouillais de larmes. Seule, la nuit, je me disais : je n’ai pas du moins à le mépriser ni à le haïr ; je n’ai pas été le jouet d’un complot, d’une trahison préméditée. Il ne s’est pas fait un jeu de mon amour et de mon aveuglement. Je fus soulagée. Je me rétablis assez pour reprendre ma vie ordinaire, et j’espérais de faire oublier à mon mari, à force de soins et de prévenances, l’affreuse impression qu’il avait reçue. Je n’ai pu en venir à bout. L’éloignement, si ce n’est la haine, avait succédé à l’amour. Je l’intéressais pourtant encore, quand des retours de mon indisposition semblaient menacer ma vie ; mais,