Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/208

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trouveriez, et avec raison, injuste et téméraire aussi bien que cruel, car je vous suppose très affligé.

Le même jour que mistriss M*** vous écrivit sa dernière lettre, elle m’écrivit pour me prier de la venir voir. Je vins sans perdre un instant ; je trouvai sa maison comme d’une personne qui se porte bien, et elle-même assez bien en apparence, excepté sa maigreur. Je fus bien aise de pouvoir lui dire qu’elle ne paraissait pas aussi mal qu’elle le croyait ; mais elle me dit en souriant que j’étais trompé par un peu de rouge qu’elle mettait dès le matin, et qui avait déjà épargné quelques larmes à Fanny, et quelques soupirs à James. Je vis le soir les petites filles qu’elle fait élever ; elles chantèrent, et elle les accompagna de l’orgue : c’était une musique touchante, et telle à peu près que j’en ai entendu en Italie dans quelques églises. Le lendemain matin elles chantèrent d’autres hymnes du même genre ; cette musique finissait et commençait la journée. Ensuite mistriss M*** me lut son testament, me priant, si je voulais qu’elle y changeât quelque chose, de le lui dire librement ; mais je n’y trouvai rien à changer. Elle donne son bien aux pauvres, de cette manière. La moitié, qui est le capital de trois cents pièces de rente, sera à perpétuité entre les mains des lords-maires de Londres, pour faire apprendre à trois petits garçons, tirés chaque année de l’hôpital des enfants trouvés, le métier de pilote, de charpentier ou d’ébéniste. La première de ces professions, dit-elle, sera choisie par les plus hardis, la seconde par les plus robustes, la troisième par les plus adroits. L’autre moitié de son bien sera entre les mains des évêques de Londres, qui devront tirer chaque année deux filles de l’hôpital de la Madeleine, et les associer à des marchandes bien établies en donnant à chacune cent cinquante pièces à mettre dans le commerce auquel on les associera ; elle recommande cette fondation à la piété et à la bonté de l’évêque,