Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
NOTICE.

bonne éducation, et se soucie même d’entretenir un peu son latin. Il cite en un endroit le Huron ou l’Ingénu, et par conséquent ne l’est plus tout-à-fait lui-même. Rien d’étonnant pour nous, après cela, qu’il observe autour de lui et s’émancipe en quelque malice innocente. Voici l’une de ces pages railleuses que les Neuchâtelois d’alors (c’est comme pour la Hollande, je ne parle qu’au passé) ne pardonnaient pas à madame de Charrière d’avoir mises au jour :


« Une chose m’a frappé ici. Il y a deux ou trois noms que j’entends prononcer sans cesse. Mon cordonnier, mon perruquier, un petit garçon qui fait mes commissions, un gros marchand, portent tous le même nom ; c’est aussi celui de deux tailleurs avec qui le hasard m’a fait faire connaissance, d’un officier fort élégant qui demeure vis-à-vis mon patron, et d’un ministre que j’ai entendu prêcher ce matin. Hier je rencontrai une belle dame bien parée ; je demandai son nom, c’était encore le même. Il y a un autre nom qui est commun à un maçon, à un tonnelier, à un conseiller d’État. J’ai demandé à mon patron si tous ces gens-là étaient parents, il m’a répondu que oui, en quelque sorte : cela m’a fait plaisir. Il est sûrement agréable de travailler pour ses parents, quand on est pauvre, et de donner à travailler à ses parents, quand on est riche. Il ne doit point y avoir entre ces gens-là la même hauteur, ni la même triste humilité que j’ai vue ailleurs.

« Il y a bien quelques familles qui ne sont pas si nombreuses ; mais, quand on me nommait les gens de ces familles-là, on me disait presque toujours : « C’est madame une telle, fille de monsieur un tel » (d’une de ces nombreuses familles) ou : « C’est monsieur un tel, beau-frère d’un tel » (aussi d’une des nombreuses familles) : de sorte qu’il me semble que tous les Neuchâtelois sont